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 CONTEXTE AÇORIEN DES ANNÉES 50        

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José-Louis Jacome,18 mai 2020

Excès démographique et précarité

Les deux extraits suivants d'un article publié dans Portuguese Reviews, vol. 12, par Carlos Cordeira et Artur Madeira (1), sont essentiels pour comprendre la situation économique précaire des Açoriens dans les décennies précédant la première grande vague d'immigration portugaise au Canada dans les années 1950. Pour accompagner les faits et chiffres qu’il contient, tous les immigrants açoriens et leurs descendants ont entendu des histoires de leurs parents, familles et amis sur la vie quotidienne aux Açores. Ces histoires ajoutent une dimension significative et humaine aux chiffres. En fait, nous avons besoin des deux, de chiffres et d'histoires, pour vraiment comprendre la situation que nos ancêtres ont connue. Dans mon cas, j'ai toujours voulu mettre des chiffres sur les histoires que j'ai entendues de mes parents et de ma famille. J'étais très heureux de trouver cet article des professeurs Cordeira et Madeira il y a quelques années.

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Un sacho, un outil commun pour travailler la terre. Et, pour moi, un symbole de la précarité des Açoriens.

Mon père m'a dit à plusieurs reprises qu'il ne pouvait pas faire sa vie à São Miguel parce que chaque jour il ne savait pas s'il travaillerait ou non. Avant de partir au Canada, il gagnait 10 à 15 escudos pour une longue et dure journée de travail, près de 50 cents. Il a également mentionné à plusieurs reprises que les camponeses, les paysans comme lui allaient chaque matin au coin de la rua das Rosas et attendaient les propriétaires qui s'y présentaient pour choisir les travailleurs dont ils avaient besoin pour la journée. Ceux qui n'étaient pas choisis rentraient chez eux et revenaient le lendemain matin. C'était leur quotidien. À ce propos, mon oncle Nicolino Laureano m'a également dit: «ceux qui n'avaient pas travaillé pendant plusieurs jours mettaient un morceau de vêtement sur une épaule, ce qui signifiait qu'ils étaient dans une situation critique». La scène se répétait partout, à des centaines de coins de rues de villages açoriens.

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1947, Ribeira Grande, São Miguel. Açores.

Mon père, Manuel da Costa Jácome, en veston et trois de ses amis, Manuel Pascoal, à gauche, Jacinto Almeida, au centre et une personne inconnue, la seule portant des chaussures.

Enfin, mon cousin Fernando Maré, qui vit toujours à Ribeira Seca, m'a raconté une petite histoire il y a quelques années. Elle en dit long sur la situation précaire que vivaient la majorité des Micaelenses et Açoriens. Son père «Tio Augusto» avait quelques parcelles de terre, il était propriétaire. Il embauchait régulièrement plusieurs ouvriers agricoles. Chaque jour à midi, les travailleurs s'arrêtaient pour le déjeuner. Ils trouvaient un endroit ombragé et mangeaient leur maigre repas, généralement du lait et du pain de maïs, une soupe de haricots ou du poisson les jours meilleurs. L'un d'eux quittait le

groupe tous les jours à l'heure du déjeuner, disant qu'il allait manger chez lui, à proximité. Un jour, «Tio Augusto», qui s'interrogeait sur cette routine quotidienne, a demandé à son fils Fernando de suivre le travailleur et de vérifier ce qu'il faisait vraiment. Fernando a suivi l'homme et a découvert qu'il ne s'éloignait que de quelques centaines de mètres des terres et se cachait près d'un arbuste au bord de la route. Il restait sur place un bon moment puis, revenait rejoindre les autres ouvriers qui avaient terminé leur repas. En fait, l'homme se cachait à l'heure du déjeuner. Il n’allait pas manger à la maison.

Il ne voulait pas que ses collègues sachent qu'il n'avait pas de nourriture pour le déjeuner. «Tio Augusto» a demandé à Fernando de lui donner de la nourriture à partir de ce jour. L'homme travaillait dur pendant de longues journées, sous le soleil, sans aucun repas, tous les jours. Nous sommes à la fin des années 40. Maintenant, voici les faits que nous révèle l'article de Cordeiro et Madeira.

Entre 1900 et 1920, la population de São Miguel a diminué de 0,5 par année en raison de l’émigration. Après et jusqu'en 1950, en raison de l'augmentation des restrictions d'émigration vers les États-Unis et le Brésil, la crise de 1930 et la Seconde Guerre mondiale, la tendance de la population locale s'est inversée, elle augmentait maintenant de manière significative. Selon une étude citée, réalisée par Gilberta Pavão Nunes Rocha, Université des Açores, en trois décennies, celles de 1930 à 1950, la population de São Miguel est passée de 111 770 à 164 136 personnes, soit une augmentation nette de 52 366 personnes. Cette augmentation représente une croissance démographique annuelle moyenne d'environ 1,3 % (2). En soi, cela représentait un défi majeur pour une région disposant de peu d'espace et de ressources.

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Une fenêtre d'espoir s'est ouverte au début des années 1950, les États-Unis et le Canada révisaient leurs politiques d'immigration. Quelque 20 000 Portugais ont émigré en 1950, ce qui n'avait pas été vu depuis 1931. En 1952, pour atténuer le chômage dans les zones rurales, le gouvernement de Ponta Delgada a ajouté des projets de travaux publics à son plan quadriennal. Mais il était clair que cette seule mesure ne pouvait pas résoudre le problème de chômage. La même année, le gouvernement local a appelé l'inspecteur Ferreira da Costa pour organiser l'émigration de 40 familles Micaelense au Brésil. De nombreux dirigeants portugais, dont le Dr Armando Cândido, député représentant le district de Ponta Delgada à Lisbonne, étaient convaincus que l'émigration, et non les travaux publics, était la solution pour atténuer le problème «d'excès démographique» et son impact économique. Depuis un moment, il alerte tout le monde sur cette question de grand impact économique et social. La situation dans l'archipel était pire que celle vécue dans le Portugal continental. Le Dr Cândido avait déjà suggéré au gouvernement central d’envoyer quelques citoyens pour peupler les colonies africaines du Portugal ou dans des pays étrangers comme émigrants. Les possibilités d’émigration étaient limitées. Les discussions en cours sur la politique d'immigration aux États-Unis et au Canada présentaient une nouvelle et grande opportunité.

 

Le deuxième extrait de l'article se concentre sur une autre intervention très importante du Dr Cândido. En 1952, il a fait une présentation clé à l'Assemblée nationale de Lisbonne sur la question très cruciale des excès démographiques. Il a alors utilisé une étude réalisée par Pedro Cymbron, également député et président du district de Ponta Delgada, pour démontrer l'urgence de la situation à São Miguel et apporter des solutions réelles et concrètes. L'étude a porté sur quelque 30 400 travailleurs ruraux locaux ou camponeses. Citant les chiffres de Cymbron, le Dr Cândido a souligné avec force que quelque 2 800 000 jours de travail étaient disponibles par an pour les travailleurs agricoles de l'île. Chaque travailleur pouvait alors s'attendre à travailler en moyenne 92 jours par an. De plus, a-t-il dit, alors que 15 % de ces travailleurs ont un salaire garanti, ce qui signifie qu'ils travailleront toute l'année, 85 % ne pourraient travailler que 3 mois et demi par an. En lisant ces chiffres, je me suis dit: «Maintenant, je comprends à quel point la situation des Micaelenses et des Açoriens était précaire dans les décennies 1930-1950. Elle n'était pas bien meilleure dans le Portugal continental. La même année, en 1952, le gouvernement canadien a adopté une nouvelle loi sur l'immigration qui a ouvert le pays aux immigrants de nombreux pays, dont le Portugal. C'était la fenêtre d'opportunité que beaucoup de Portugais et d'Açoriens attendaient. En mai 1953, un premier groupe d'immigrants portugais partit pour le Canada. La première vague d'immigration portugaise au Canada a commencé avec cet événement.

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À la fin de 1953, le gouvernement central, répondant aux efforts du Dr Armando Cândido, a ajouté 800 Micaelenses au nombre d'émigrants portugais qui se rendaient au Canada. En 1954, un total de 950 Açoriens, y compris ce grand contingent de Micaelenses, s'embarqua sur le Homeland

(deux voyages) et le Nea Hellas au Canada. Mon père, Manuel da Costa Jácome, était l'un des 800. 1954, fut définitivement l'année Micaelense, «O ano Micaelense».

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Au cours des années et des décennies suivantes, des milliers d'Açoriens ont immigré au Canada. Cela explique en partie pourquoi la majorité des immigrants portugais et leurs descendants vivant au Canada, principalement dans les régions de Toronto et de Montréal, viennent des Açores.

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References

1. Nos primórdios da emigração açoriana para o Canadá: Leituras e contextos Carlos Cordeiro Departamento de História, Filosofia e Ciências Sociais da Universidade dos Açores Artur Boavida Madeira († 2005) Departamento de História, Filosofia e Ciências Sociais da Universidade dos Açores.

 

2. Gilberta Pavão Nunes Rocha, Dynâmica Populacional dos Açores no século XX. Unidade, Permanência, Diversidade (Ponta Delgada; Universidade dos Açores).

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Au sujet de l’auteur

Né à São Miguel et habitant à Montréal depuis 1958, j’ai publié, en 2018, un livre sur l’immigration açorienne au Canada dans les années 1950. “D’une île à l’autre” a été publié en français et en portugais. Le livre et l’exposition qui l’accompagne ont été présentés à Montréal, São Miguel, Toronto et Boston. Le livre est en vente à Montréal, Toronto et São Miguel, ainsi que via mon site Internet. Je continue à publier des informations et des histoires liées à cette première grande vague d’immigration de Portugais et d’Açoriens dans ce site Internet jljacome.com et la page Facebook D’une île à l’autre.

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