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 1954, L'ANNÉE MICAELENSE                    

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José-Louis Jacome, 21 septembre 2020

Deuxième contingent
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Le vendredi 23 avril 1954, le quai Salazar du port de Ponta Delgada sur l’île de São Miguel, était de nouveau bondé de monde. De tous les coins de l’île, les familles et amis des 450 Micaelenses qui allaient partir dans l’après-midi, ont convergé vers le port. Le Homeland est entré au port vers 13h20. Sous une pluie fine et constante, les adieux étaient déchirants, plusieurs pleuraient, tous s’étreignaient et s’embrassaient incertains s’ils se reverraient un jour. Quelques-uns appréhendaient déjà ces années séparées de ceux qu’ils aimaient et de leur « rica terra ». Leur univers était jusque-là délimité par les contours de l’île, et un mur immense, l’océan. Presque tous n’avaient jamais vu une seule image du Canada, un pays inconnu au nord des États-Unis. Il y faisait froid, mais il y avait beaucoup de travail. C’est tout ce qu’ils savaient. Ils partaient seulement avec un billet d’aller qui leur coûtait des années de travail et de sueur, 5.300 escudos ou 176 dollars. La majorité d’entre eux avait emprunté la fabuleuse somme et autant pour les autres dépenses liées au grand saut.


En matinée, les 450 émigrants et des membres de leurs familles étaient reçus par le Gouverneur du District Autonome de Ponta Delgada au Palácio da Conceição


La cérémonie est décrite dans le journal Diário dos Açores du 23 avril. Voici une traduction incomplète et libre pour vous donner une idée de l’événement et du moment, le départ du plus important contingent d’Açoriens de cette première vague d’émigration portugaise vers le Canada.

Le Gouverneur, Aniceto dos Santos, réunit aujourd’hui à 11 heures dans la grande salle du Palácio da Conceição les 450 émigrants de São Miguel qui partiront cet après-midi pour le Canada. Ces derniers et leurs familles ont rempli la salle à capacité. Plusieurs émigrants portaient un drapeau du pays offert par la mairie de Ponta Delgada. Dès son entrée, le Gouverneur fut longuement applaudi. Il a ensuite souligné que ce départ leur donnerait du travail et une vie meilleure. 

Par la suite, un émigrant de la localité de Ribeirinha, José Adriano,  a remercié le Gouverneur au nom de tous. Il a terminé  son intervention en demandant avec beaucoup d’émotion que tous saluent avec trois « Viva » criés bien fort, le Portugal, Salazar et le Gouverneur. On avait remis à tous un petit texte Despedida do emigrante tout aussi touchant et une image du Christ emblématique de Ribeirinha, o Santissimo Salvador do Mundo. L’inspecteur Ferreira da Costa a ensuite souhaité bonne chance à tous.
 

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Le plus important contingent de la première vague d’émigration portugaise vers le Canada (1953-56) a quitté São Miguel le 23 avril 1954. Avant l’embarquement, les 450 Micaelenses ont participé à une cérémonie au Palácio da Conceição à Ponta Delgada. Photo parue dans le Correio dos Açores du 25 avril 1954. - Museu da Emigração Açoriana

Traduction libre de 2 extraits de l’article En chamada do Canada, publié le dimanche 25 avril 1954 dans le journal Correio dos Açores.


EXTRAIT 1

Il pleut sans arrêt. Des milliers de personnes s’entassent sur le quai Salazar. Le navire allait entrer au port. Tout était dirigé efficacement par le chef de quai Manuel de Castro et le chef du poste fiscal, le sergent Gleata. La police et la garde fiscal étaient prêts.


Soudainement, nouvel ordre. Personne ne peut aller plus loin sur le quai. Les émigrants, valises sur les épaules, retournent vers le début de la jetée où ils devraient monter sur des petites embarcations (lanchas) pour rejoindre le Homeland ancré au large.


Ils ont patienté un bon moment sous une pluie incessante, l’attente fut interminable, puis, autre revirement, le Homeland s’est finalement dirigé puis amarré au quai. Encore une fois, les valises sur leurs épaules, sous de nouvelles directives de la police, les émigrants se sont déplacés calmement et en ordre vers l’extrémité du quai. Pourquoi l’agence n’a pas organisé le transport des valises par le personnel de quai? On ne comprend pas.

Commencent alors les préparatifs pour l’embarquement. Aussitôt apparaissent les premières larmes. J’essaie de cueillir quelques phrases et saisir l’ambiance qui règne. L’objectif de ma caméra s’arrête sur une marraine qui ajuste la cravate de son cher filleul, José da Costa, de la paroisse de Remedios, région de Bretanha. 
 

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L'embarquement
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Sur le quai Salazar

Museu da Emigração Açoriana

Du côté de Furnas, nous avons vu, et entendu le bien connu José Mauricio nous dire : « J’aimerais que vous écriviez dans le Correio que je pars satisfait, mais avec mon cœur lié aux miens et à mon coin de terre, Vale das Furnas


Dimanche prochain, jour de la plus belle fête, la procession du Sagrado Viático, je prierai ardemment pour les malades et pour tous mes compatriotes. Que Senhora Santana nous bénisse et me protège. »


Une personne qui attire l’attention de tous traverse la barrière, Mariano Inácio de Medeiros. Valise sur son épaule gauche, le visage de quelqu’un qui a pleuré, il porte à sa main droite un petit drapeau portugais bien ouvert. Je m’approche de lui et lui dit: « Tu pleures pour ton drapeau, ton coin de terre ou ta famille? ». Il répond: « Je pleure avec émotion pour tout ce que je vois. Je pleure pour mon coin de terre, Lomba da Maia, et pour ceux que j’y ai laissé. Mais j’apporte le drapeau du Portugal pour qu’il me donne des forces dans les épreuves, comme le fait le Saint-Christ. J’emporte tout cela dans le bateau. » Il s’est ensuite dirigé vers l’escalier pour monter sur le bateau. 

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EXTRAIT 2 

Nous attendons le premier passager à monter à bord. Il s’agit de Luiz de Madeiros Costa de la région de Povoação. Le Gouverneur Aniceto dos Santos avec son secrétaire particulier, le capitaine Vaz do Rego, et son fils, Antonio da Costa Santos, sont tout près. Ce dernier a fait ses adieux à tous et s’est entretenu avec le premier émigrant à gravir l’escalier qui mène au bateau. Il lui a adressé quelques paroles amicales, puis l’a embrassé avec beaucoup d’émotions. L’émigrant monte un peu et promet de lui envoyer des nouvelles. 


Le personnel de l’Émigration ou Junta da Emigração et les policiers de la PIDE (Polícia international e de defesa do estado; la police politique) ont planifié un embarquement rapide et ordonné. Si bien, qu’à 19 heures, le Homeland se préparait à quitter le quai. Il a salué Ponta Delgada de trois sifflets avant de se mettre en marche. (Peut être à cause du mauvais temps, le Homeland s’est immobilisé à l’horizon, tout illuminé, jusqu’au lendemain)


Par la suite, l’île de São Miguel a retrouvé sa normalité, sa routine quotidienne, jusqu’au prochain départ, le mardi suivant, soit le jour où le navire Nea Hellas partira avec les derniers 171 émigrants qui complèteront le groupe de 950 Açoriens qui immigreront au Canada en 1954.  
 

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Alfredo do Rego Borges, un ami de mon père, transportant sa valise et ses 2 bouteilles de cachaça* suspendues à son épaule gauche.
Quai Salazar, Ponta Delgada, São Miguel, 23 avril 1954. (Izaura Frades)

Le contingent mythique
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Émigrants de Agua do Pau - Teresa Pacheco

Le deuxième contingent, de loin le plus important de cette première vague d’émigration vers le Canada, deviendra aussi son contingent mythique. Les nombreux écrits, photos et histoires liées à ce contingent témoignent de son intérêt historique. Les 450 Micaelenses représentent presque 50 % des Açoriens qui partiront en 1954. De ce nombre, près de 200 étaient originaires de Ribeira Grande. Mon père les connaissait presque tous. Ribeira Grande était alors une petite communauté. Au Canada, il avait déjà son ami Guilherme Cabral (Rodriques), un des 18 pionniers Micaelenses du Saturnia de mai 1953. Plusieurs de ses amis et voisins originaires de Ribeira Grande faisaient parti des 276 Micaelenses qui ont quitté à bord du Homeland, le 22 mars, dont José da Costa et Dinis Maciel. Il embarquait aujourd’hui, un mois plus tard, avec bon nombre d’amis, dont Alfredo do Rego Borges, José Cabral et les 3 frères Pascoal; Jaime, José et Manuel. Finalement, d’autres amis ont suivi sur le bateau Nea Hellas 4 jours plus tard. 


Bon nombre de ces Açoriens constitueront à Montréal et à Toronto, le noyau de pionniers auquel allaient s’ajouter des milliers d’autres Portugais dans les années 1950 et les décennies suivantes. Les Açoriens et leurs descendants forment aujourd’hui plus de 70 % des Portugais établis au Canada selon José Carlos Teixeira, originaire de Ribeira Grande et professeur à l’Université de la Colombie-Britannique.


Mon père avait gardé contact avec Guilherme Cabral. Dès son arrivée, Guilherme a travaillé à la ferme de Maurice Paradis à Saint-Michel, au nord de Montréal. Depuis son arrivée, il s’était bâti une réputation de dur travailleur. Ses collègues canadiens n’appréciaient pas son acharnement au travail. Un jour, sept d’entre eux ont voulu le battre. Il s’est défendu avec une barre de fer. Le patron a mis fin à la dispute. Guilherme a, par la suite, quitté la ferme pour tenter sa chance dans les chemins de fer, mais le vice-consul, le père Almeida, lui a déconseillé de quitter la ferme. Il est retourné à Saint-Michel pour travailler dans une terre voisine, celle du beau-frère de Maurice Paradis. Quand le deuxième contingent arrive, le 29 avril, celui-ci lui a demandé de recruter 5 Açoriens. Mon père, Manuel da Costa Jácome, est un des cinq. Les autres sont Alfredo do Rego Borges, José Cabral, Dinis Maciel et Artur Modesto.

Bouteilles de Cachaça

*Cachaça :
Une eau de vie commune aux Açores. Bon nombre d’émigrants açoriens emportaient avec eux des bouteilles de cachaça, et peut être une sorte de remède pour le choc brutal que représentait le grand départ vers l’inconnu. Les bouteilles étaient enveloppées dans un tressage d’osier. L'ensemble avait une ganse que l’on pouvait suspendre à l’épaule.

Au sujet de l'auteur

Né à São Miguel et habitant à Montréal depuis 1958, j’ai publié, en 2018, un livre sur l’immigration açorienne au Canada dans les années 1950. “D’une île à l’autre” a été publié en français et en portugais. Le livre et l’exposition qui l’accompagne ont été présentés à Montréal, São Miguel, Toronto et Boston. Le livre est en vente à Montréal, Toronto et São Miguel, ainsi que via mon site Internet. Je continue à publier des informations et des histoires liées à cette première grande vague d’immigration de Portugais et d’Açoriens dans ce site Internet jljacome.com et la page Facebook D’une île à l’autre.

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