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 1954, L'ANNÉE MICAELENSE                    

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José-Louis Jacome, 25 mars 2021

Le troisième contingent 

Suite à la réception au Palácio da Conçeicão, le matin du 27 avril 1954, les 171 Micaelenses qui partiront sur le Nea Hellas se sont dirigés vers le quai Salazar. L’embarquement s’est déroulé rondement. Le bateau de la Greek Line s’est mis en marche à 11h30, puis a quitté le quai. Ce 3e voyage transportera le dernier contingent d’émigrants açoriens inclus dans le quota canadien pour l’année 1954, quelque 950 au total.

Le voyage durera 5 jours. L’inspecteur Mário Ferreira da Costa qui a accompagné les Açoriens depuis le début de cette vague d’émigration en mai 1953, était à bord. En tant que représentant de la Junta Nacional da Emigração, il a prévu des sessions d’information sur le Canada tous les jours. Celles-ci couvraient tous les aspects de la vie dans leur nouveau monde; langue, habillement, travail, alimentation. Il a même présenté une carte de Montréal, selon Carlos Pacheco, un passager Micaelense. Le bateau a accosté au Quai 21 d’Halifax le 2 mai.

Le Nea Hellas, construit en 1922 par Fairfield Govan a navigué jusqu’en 1939 sous le nom de Tuscania. Il fut alors acheté par la Greek Line qui le nomma Nea Hellas. Dès 1947, après la Deuxième Guerre Mondiale, il a servi au transport d’émigrants vers l’Amérique du Nord. (1) Il a, entre autres, transporté deux contingents de Portugais vers le Canada, un premier de 102 Madeirenses le 26 mai 1953 et ce dernier contingent de 1954, comptant 171 Micaelenses, le 27 avril 1954.

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Les 171 Micaelenses photographiés sur les escaliers du Palácio da Conceição, à Ponta Delgada. (Correio dos Açores, 29 avril 1954). Et un article sur l’inspecteur Mário Ferreira da Costa publié dans le même journal.

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L’inspecteur Mário Ferreira da Costa, un fonctionnaire de la Junta National da Emigração, a joué un rôle de premier plan dans cette première vague d’émigration vers le Canada. Il a assuré la bonne marche de l’organisation menant au départ des 179 premiers émigrants portugais en 1953. Puis, dès le 27 octobre 1953, il s’est déplacé à Ponta Delgada en compagnie du docteur José Dias Henriques, pour organiser le départ de 950 Açoriens prévu pour 1954. Il fera un premier tri parmi ceux qui se sont inscrits dans les mairies de São Miguel. Le docteur Henriques a réalisé les premiers examens médicaux auprès des candidats et de leurs familles. Si un membre de la famille avait quoi que ce soit, le candidat était automatiquement éliminé. Un comité canadien dirigé par Odilon Cormier travaillera pendant 5 à 6 mois à São Miguel et fera une deuxième inspection médicale et la sélection finale des candidats. Dans les autres îles, le Dr. José Neves Belo procède aux examens médicaux des futurs émigrants. (2)

L’inspecteur da Costa ou un de ses collègues de la Junta National da Emigração ont aussi accompagné les émigrants jusqu’à destination depuis les débuts de la première vague d’émigration vers le Canada en mai 1953. L’inspecteur São Romão avait accompagné les pionniers du Saturnia jusqu’à Montréal selon Carlos Pereira, originaire de Peniche. (3)

Ce dernier départ de 1954 est couvert dans les deux quotidiens publiés à São Miguel, le Diário dos Açores et le Correio dos Açores. Voici une traduction libre de l’article paru dans ce dernier le 29 avril 1954 :

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Le dernier départ d’émigrants açoriens vers le Canada cette année

s’est réalisé avant-hier après une réunion au Palácio da Conceição

À 8h30, les 171 émigrants qui quitteront sur le navire Nea Hellas, sont entrés dans le Salon Noble du Palácio da Conceição. Ils ont été accueillis par le personnel du Secrétariat du gouvernement civil, l’inspecteur Ferreira da Costa et Armando Maçanite, le commandant de la police du district. Parmi les émigrants, 15 Ribeiragrandenses sont invités à porter les drapeaux nationaux offerts par leur municipalité.

Ensuite, sont entrés, le Gouverneur accompagné de ses secrétaires particuliers et le président de la municipalité de Lagoa. Le Gouverneur fut reçu par des applaudissements nourris. Il s’est dirigé vers les hommes qui allaient partir et leur a dit qu’avec ce contingent on complétait le quota d’émigration convenu entre le Canada et le Portugal pour l’année 1954. Il a souhaité qu’ils gardent bien vivant leur amour pour la patrie et leurs familles, espérant qu’ils ne les oublieront jamais. Il a ensuite souligné que ce jour (27 avril) marquait les 26 ans de dévouement pour le bien de la Nation du Chef du Gouvernement portugais (Salazar). Grâce à ses actions prestigieuses, un pays étranger a offert au Portugal un quota important, qui sera suivi d’autres, si le comportement des émigrants qui sont partis et ceux qui vont partir, rapportent les crédits qui permettront à leurs compatriotes d’aller eux aussi travailler dans le nouveau monde.

Il a souhaité que tous, en terre étrangère, soient des exemples de sacrifice comme a su le faire avant quiconque le Sauveur de la patrie (Salazar) en prenant de lourdes tâches sur ses épaules. Il a terminé son allocution en souhaitant beaucoup de prospérité aux 171 fils de l’île qui sont partis avant-hier à la recherche de bonne fortune. Tous ont salué de «vivas» le Chef du Gouvernement qui a fait de même. Finalement, le Gouverneur Aniceto dos Santos, s’est dirigé vers l’inspecteur Ferreira da Costa dont il a loué les efforts. Il lui a souhaité un bon voyage en poursuivant sa mission.

L’embarquement a suivi. Plusieurs personnalités se sont dirigées vers le port. Le chef du district accompagné de ses secrétaires, le commandant de la P.S.P. (police), le caporal Armando Maçinite, le directeur des Finances, monsieur Manuel Pavão de Medeiros et le Dr. Freitas Magolhães, Directeur du Service de Radiologie de l’hôpital qui travaillait au sein de la Junta da Emigração ainsi que quelques amis de l’inspecteur Ferreira da Costa. Celui-ci a eu des adieux ressentis et bien mérités, tous reconnaissant en lui un fonctionnaire intègre de grande qualité.

Artur de Reis Vieira, un ribeiragrandense, était à bord.

Artur de Reis Vieira, en tenue militaire. (photo : Idelta Vieira)

Artur de Reis Vieira, arrive à Halifax le 2 mai 1954 sur le Nea Hellas, il avait 29 ans. Il laissait son épouse, Lurdes Dias, sa fille Idelta et son fils Diniz à São Miguel. Ces derniers le rejoindront 3 ans plus tard au Canada, en 1957. Artur est le beau-frère d’Antonio Dias de la Casa Micaelense, une des premières épiceries portugaises établies à Montréal, rue Hôtel-de-Ville. C’était un des endroits qui faisaient partie de notre habituelle virée dans le quartier Saint-Louis dans les années 1960 pour acheter des spécialités portugaises. Nous allions aussi à l’épicerie de José da Costa, un proche ami de mon père, et l’incontournable Domingos Reis, le premier commerce portugais établi à Montréal en 1956. Il était également le principal point d'ancrage des nouveaux arrivants portugais dans la ville hôte.

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Dans les années 1950, Artur Vieira, comme bien d’autres immigrants portugais, accepte des emplois très difficiles pour gagner son monde meilleur. À ce chapitre, les histoires d’horreur sont nombreuses. Celle d’Artur est dramatique. Il meurt en 1977 à l’âge de 52 ans suite à un accident de travail horrible. Il est tombé dans un bain d’acide de la Locweld and Forge Products Limited. L’usine se spécialisait dans la conception et fabrication de grandes pièces métalliques. « Les cuves d’acide étaient mal balisées. À l’époque, les règles concernant la sécurité du travail étaient loin de celles imposées aujourd’hui. Les accidents étaient plus nombreux.» me raconte sa fille Idelta. Il a terriblement souffert pendant de longues semaines avant de mourir.

Dès son arrivée au Canada en 1954, il a travaillé dans une ferme à Shawinigan puis à Grand-Mère avant de rejoindre le clan Pascoal établi à La Prairie depuis 1957. Sa petite famille arrive à Dorval la même année. Comme bien d’autres, elle aura de la difficulté à trouver un logement. À l’époque, bien des propriétaires hésitaient à louer leurs logements à des immigrants. Je raconte dans mon livre, D’une île à l’autre, que mon père a aidé plusieurs familles açoriennes à se loger à Montréal dans les années 50 et 60. Le chanteur et auteur Italo-Canadien bien connu au Québec, Nicola Ciccone, décrit dans son livre Cuore une situation similaire dans le quartier où il a grandit au milieu des années 1970 à Montréal: « Il était fréquent de lire sur les pancartes de logements dans la Petite Patrie, À louer mais pas d’Italiens. » Les Vieira s’établiront quelques mois dans une petite maison bien inadéquate. Avant l’hiver, ils emménageront provisoirement chez Jaime Pascoal et Belmira Dias, la sœur de Lurdes, avant de déménager de nouveau dans une maison qu’ils ont achetée. La famille Dias, dont Belmira et Lurdes était nos voisins sur la rua das Rosas à Ribeira Grande.

La photo d’Artur de Reis Vieira le montre en tenue militaire au début de la vingtaine. Le service militaire était obligatoire au Portugal jusqu’en 2004. L’assemblée du Portugal y a mis fin le 1er juillet 1999. Dès l’âge de 18 ans les jeunes hommes devaient s’inscrire et pouvaient être appelés à servir leur pays de 2 à 4 ans, dès l’âge de 19 ou 20 ans en général. À l’époque, aucun homme ne pouvait légalement quitter le pays après son inscription, sans avoir terminé son service militaire et avoir obtenu une permission écrite de l’armée. Les hommes pouvaient compléter leur service au pays ou dans une colonie portugaise. Artur a été déployé principalement en Angola dans les années 1940. Les guerres coloniales ont commencé au début des années 1960. Dès lors et jusqu’en 1974, des milliers d‘hommes se sont retrouvés en Angola, au Mozambique et en Nouvelle-Guinée. À l’apogée de ces guerres coloniales, le Portugal maintenait plus de 200 000 hommes sur les nombreux fronts, un effort aussi démesuré que suicidaire pour un aussi petit pays. Des milliers de jeunes ont fui le pays même après leur inscription pour éviter le service militaire et surtout d’être envoyées au front. Ils se sont enfuis dans les autres pays d’Europe, surtout en France, après la Deuxième Guerre Mondiale. Plusieurs ont aussi quitté le pays avant d’atteindre l’âge de 18 ans pour les mêmes raisons.

Avec les 897 hommes qui ont quitté São Miguel, 1954 est certes l'année Micaelense de cette première vague d'émigration portugaise vers le Canada. Artur Vieira faisait partie du dernier contingent à avoir quitté l’île cette année-là. D’autres bateaux ont transporté des centaines de Portugais en 1955 et 1956. Dès 1956, les avions ont pris la relève. Le 11 juin 1957 le premier vol direct de la Canadian Pacific Airways décollait de l’aéroport de Santa Maria vers Montréal. Le voyage a duré 12 heures selon Manuel Melo. (3) Les réunifications de familles se sont multipliées et, par la suite, surtout dans les années 1960 et 1970, d’importantes communautés lusophones se sont formées dans les principales villes canadiennes, notamment à Toronto et à Montréal.

Références

1. Alernavios, Nea Hellas, 2013

2. Humberta Araujo, Milenio Stadium, 2017

3. Small People Great Stories, José Mário Coelho

Au sujet de l'auteur

Né à São Miguel et habitant à Montréal depuis 1958, j’ai publié, en 2018, un livre sur l’immigration açorienne au Canada dans les années 1950. “D’une île à l’autre” a été publié en français et en portugais. Le livre et l’exposition qui l’accompagne ont été présentés à Montréal, São Miguel, Toronto et Boston. Le livre est en vente à Montréal, Toronto et São Miguel, ainsi que via mon site Internet. Je continue à publier des informations et des histoires liées à cette première grande vague d’immigration de Portugais et d’Açoriens dans ce site Internet jljacome.com et la page Facebook D’une île à l’autre.

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